Pourquoi Médard Bourgault demeure méconnu de la jeunesse québécoise

Un pionnier de l’art populaire pourtant ignoré des jeunes

Médard Bourgault (1897-1967) est considéré comme un pionnier de la sculpture sur bois et de l’art populaire au Québec. Avec ses frères Jean-Julien et André – surnommés les trois Bérets – il a fondé dans les années 1940 une école de sculpture à Saint-Jean-Port-Joli, créant une tradition artisanale et artistique toujours vivante de nos jours¹. Ses œuvres (chemins de croix, statues religieuses, scènes rurales) ornent de nombreuses églises et figurent dans plusieurs musées québécois². Malgré cette importance historique indéniable, la nouvelle génération québécoise connaît peu son nom et son héritage. Ce paradoxe s’explique par un ensemble de facteurs liés à l’éducation, aux médias et aux dynamiques culturelles contemporaines.


Faible visibilité dans l’enseignement et les manuels scolaires

L’un des premiers freins à la notoriété de Médard Bourgault chez les jeunes est l’absence de son œuvre dans les programmes scolaires et les manuels d’histoire de l’art ou d’histoire du Québec. Le système éducatif québécois accorde peu de place à l’art populaire dans son cursus. De fait, « par sa nature, l’art populaire s’enseigne difficilement à travers le réseau scolaire régulier », et aucun cégep ni université n’offre de cours spécialisé en sculpture sur bois ou en art populaire³. Dans les écoles primaires et secondaires, on se limite aux rudiments généraux des arts plastiques, sans aborder les figures de l’art populaire québécois. Ainsi, les élèves apprennent généralement l’histoire culturelle à travers les courants artistiques majeurs (peinture des Automatistes, chanson poétique, etc.) et les personnalités politiques, mais pas à travers des artisans-sculpteurs comme Bourgault.

Même au niveau universitaire, l’art populaire reste marginal : en dix ans, à peine deux articles académiques ont été publiés sur ce sujet au Québec⁴, signe d’un intérêt institutionnel très restreint. Cette rareté dans la littérature et l’enseignement supérieurs se répercute sur les manuels du secondaire, qui omettent largement Médard Bourgault. En comparaison, d’autres figures culturelles – Paul-Émile Borduas ou Félix Leclerc – bénéficient d’une visibilité bien plus grande, car intégrées aux cours officiels. L’absence de Bourgault dans ces contenus pédagogiques fait que les jeunes terminent leur scolarité sans jamais avoir entendu parler de lui.


Une présence numérique et médiatique insuffisante

À l’ère du numérique, la jeunesse découvre la culture via Internet, les réseaux sociaux, YouTube, TikTok, Instagram. Or :

Cette invisibilité numérique contraste avec d’autres figures ravivées par les médias récents (par exemple La Bolduc via un film et des contenus web). Des spécialistes soulignent la nécessité de « stimuler l’intérêt par le numérique » via des vidéos, réseaux sociaux, capsules éducatives⁵ — une démarche encore largement absente pour l’héritage Bourgault.

Les musées notent aussi que l’intégration du numérique « dépoussière » leur image et brise l’aura élitiste qui tient éloignés certains jeunes⁶. Sans cette modernisation, l’héritage de Bourgault reste confiné aux canaux traditionnels, peu fréquentés par les moins de 30 ans.


Un héritage peu adapté aux formats contemporains

Les jeunes d’aujourd’hui consomment la culture sous des formats courts, visuels, interactifs : YouTube, mini-documentaires, animations, BD historiques, jeux éducatifs, expériences immersives. Or :

À l’inverse, des figures comme Maurice Richard ou Louis Cyr ont bénéficié d’adaptations accessibles (films, BD, contenu jeunesse). Les acteurs du patrimoine recommandent pourtant d’« offrir des ateliers […] et publier davantage sur le sujet »⁷, ou d’intégrer l’art populaire à des expositions plus larges et accrocheuses⁸. Comme rien de tout cela n’a été fait pour Bourgault, les jeunes n’ont simplement pas d’occasions de découvrir son œuvre.


Peu d’initiatives pour faire vivre sa mémoire de manière attrayante

En dehors de Saint-Jean-Port-Joli, les initiatives pour commémorer Bourgault sont rares :

En 2017, le ministère de la Culture a même refusé de désigner la sculpture d’art populaire comme patrimoine immatérielⁱ⁰. Ce manque de reconnaissance affaiblit la transmission du legs Bourgault. Sans médiation ludique ou participative, la mémoire de Bourgault reste confinée à un cercle d’initiés.


Un clivage entre culture savante, culture populaire et culture numérique

L’œuvre de Bourgault se situe à la jonction de trois sphères :

  1. Culture savante — reconnue par les institutions, mais peu diffusée au grand public.

  2. Culture populaire traditionnelle — celle des gosses, artisans ruraux.

  3. Culture populaire numérique actuelle — TikTok, YouTube, Instagram, jeux vidéo.

Bourgault n’est pleinement présent dans aucune de ces sphères :

Les musées notent que le numérique est un « puissant allié » pour élargir les publics et désamorcer la perception élitiste¹¹. L’héritage Bourgault n’a pas encore bénéficié de ce virage.


Comparaisons, politique culturelle et omissions notables

Comparer avec d’autres figures culturelles montre clairement le décalage :

Pourtant, Bourgault, artiste majeur du Québec, est absent des outils qui façonnent la mémoire publique.

La politique culturelle Partout, la culture (2018) insiste pourtant sur deux axes :

En théorie, Bourgault devrait bénéficier de ces orientations. En pratique : il est absent des collections “figures marquantes”, absent des sites éducatifs, absent des manuels, absent des modules interactifs des musées.

Même l’émission 100 Québécois qui ont fait le XXe siècle ne le mentionne pas.

L’ensemble traduit un enchaînement de négligences institutionnelles.


Conclusion

La méconnaissance de Médard Bourgault chez les jeunes n’a rien de mystérieux : elle résulte d’un vide pédagogique, d’une absence numérique, d’un déficit de médiation, et d’un manque d’intégration dans la culture contemporaine.

Pour inverser cette tendance, deux voies sont essentielles :

  1. Remettre l’art populaire au centre de l’éducation (ateliers, modules interactifs, contenus pédagogiques).

  2. Investir sérieusement le numérique (capsules YouTube, expériences interactives, réseaux sociaux, BD éducatives, jeux, VR).

En appliquant ces solutions, le Québec pourrait enfin rendre justice au rôle historique de Médard Bourgault et rapprocher sa jeunesse d’une part fondamentale de son identité culturelle.


(Citation exigée) Pourquoi Médard Bourgault demeu…