Médard Bourgault (1897-1967) : un pionnier de la sculpture populaire québécoise

Médard Bourgault (1897-1967) : un pionnier de la sculpture populaire québécoise

Médard Bourgault (1897-1967) : un pionnier de la sculpture populaire québécoise Médard Bourgault est un sculpteur sur bois québécois autodidacte, originaire de Saint-Jean-Port-Joli. Il est considéré comme l’un des premiers et des plus influents artistes de l’art populaire au Québec, ayant contribué à faire de la sculpture sur bois un élément phare du patrimoine culturel québécois¹. À travers sa vie et son œuvre, il a su allier tradition rurale, foi catholique et transmission du savoir, laissant un héritage durable dans sa communauté et au-delà.

Biographie et formation

Médard Bourgault naît le 8 juin 1897 à Saint-Jean-Port-Joli, un village côtier du Bas-Saint-Laurent². Issu d’une famille de seize enfants, il grandit dans un milieu modeste où le travail du bois est familier : son père, ancien marin devenu charpentier-menuisier, lui transmet dès l’enfance le goût du bricolage et de la sculpture au canif³. Dans sa jeunesse, Médard devient marin à son tour, naviguant sur le Saint-Laurent et jusqu’en Europe et en Afrique du Nord pendant la Première Guerre mondiale⁴. Revenu au pays, il exerce le métier de menuisier-charpentier tout en sculptant pour son plaisir durant son temps libre⁵. Autodidacte, il apprend seul les techniques de la sculpture sur bois, s’inspirant des sculptures d’église qu’il a l’occasion d’observer et de restaurer lors de travaux de menuiserie au village⁶.

La crise économique de 1929 le laisse sans emploi, situation qui pousse Bourgault à tenter de vivre de son art⁷. Peu sûr de son talent au départ, mais déterminé à nourrir sa jeune famille, il installe un petit kiosque en bord de la route principale pour vendre ses premières sculptures aux passants⁸. Cette initiative attire l’attention de Marius Barbeau, éminent ethnologue canadien, qui voyage dans la région en 1929. Barbeau est frappé par les pièces exposées dans la cour de Médard et l’encourage vivement à poursuivre dans cette voie⁹. Grâce à l’appui de Barbeau – qui le met en contact avec des collectionneurs et des réseaux culturels – et au soutien de personnalités politiques comme le premier ministre Alexandre Taschereau, le ministre Ernest Lapointe ou le député Adélard Godbout (tous acquéreurs de ses œuvres), Médard Bourgault décide dès le début des années 1930 de se consacrer entièrement à la sculpture¹⁰.

Fort de ses premiers succès, Médard invite en 1931-1932 ses deux frères Jean-Julien et André à se joindre à lui dans son atelier familial¹¹. Ensemble, les trois frères Bourgault – bientôt surnommés « les trois Bérets » en raison de leur couvre-chef favori – forment un collectif dynamique qui allait révolutionner la sculpture sur bois au Québec. En 1940, avec l’appui du gouvernement provincial, leur atelier devient officiellement la première École de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli, une école-atelier subventionnée par l’État pour former de « mains habiles » et perpétuer la tradition artisanale¹². Médard Bourgault, marié depuis 1923 à Marie-Rose Bourgault, est par ailleurs père de seize enfants, dont bon nombre travailleront à ses côtés et suivront ses traces dans l’art du bois¹³. Médard poursuit son travail de création jusqu’à la fin de sa vie : il s’éteint le 21 septembre 1967 dans son village natal, à l’âge de 70 ans¹⁴.

Une œuvre ancrée dans le terroir et la vie quotidienne

Les premières œuvres de Médard Bourgault puisent leur inspiration dans la vie rurale traditionnelle du Québec. Durant les années 1930, il sculpte de nombreuses scènes du terroir – paysannes et villageoises – observées dans son entourage quotidien¹⁵. Ces sculptures figuratives témoignent des coutumes et des métiers d’autrefois, et représentent souvent des personnages canadiens-français typiques, tels que des paysans au travail, des artisans ou des vieillards du village¹⁶. Parmi ses œuvres de cette période dite populaire et paysanne, on peut citer par exemple L’arracheur de souches (1931), Le joueur de dames (1932) ou Les moissonneurs (1940), qui illustrent chacune une scène rustique avec un grand sens du détail¹⁷. Ces représentations précises de la vie d’antan rencontrent un certain succès et valent à Bourgault d’être invité à participer à plusieurs expositions au Canada, contribuant à faire connaître son travail¹⁸.

Le milieu marin et la vie côtière ont également influencé l’imaginaire de Bourgault. Ayant lui-même navigué dans sa jeunesse, il connaît bien le monde des marins et des pêcheurs de la côte du Saint-Laurent¹⁹. S’il est surtout connu pour ses scènes paysannes, l’artiste a aussi côtoyé l’univers maritime : certains de ses contemporains à Saint-Jean-Port-Joli, comme le modeleur de bateaux Eugène Leclerc, créaient des maquettes de navires qui ont participé à l’engouement artisanal local dès les années 1940²⁰.

Médard Bourgault a principalement travaillé le bois provenant de sa région, pratiquant la taille directe (sculpture à même le bloc de bois) sans formation académique²¹. Dans les premières années, lui et ses frères peignaient parfois leurs sculptures, mais sur le conseil du professeur Jean-Marie Gauvreau, ils ont limité la polychromie afin de ne pas faire ressembler leurs œuvres à de banales statuettes en plâtre coloré²². Plus tard dans sa carrière, Bourgault expérimente aussi des matériaux inusités : il réalise notamment des sculptures à partir de souches d’arbres échouées et de branches tordues, transformant ces bois flottés en créations originales²³.

Au total, l’œuvre de Médard Bourgault est aussi prolifique que variée. On estime qu’il a créé plus de 4 000 sculptures au cours de sa carrière²⁴. Celles-ci vont de la petite statuette souvenir destinée aux touristes jusqu’aux grands ensembles décoratifs pour des églises ou des bâtiments publics. On en retrouve aujourd’hui un peu partout en Amérique du Nord et même sur les cinq continents²⁵.

Foi catholique et art religieux

La foi catholique occupe une place centrale dans la vie et la création de Médard Bourgault. Profondément croyant et surnommé « le Pieux » par son entourage²⁶, il puisait dans sa spiritualité une inspiration quotidienne. Dès les années 1930, Bourgault se consacre largement à l’art religieux²⁷.

Il réalise un très grand nombre d’œuvres pour des lieux de culte, cherchant toujours à insuffler une touche personnelle et locale à ces créations d’inspiration biblique²⁸. À une époque où de nombreuses églises s’équipaient de statues de plâtre fabriquées en série, Bourgault voulait proposer au contraire des sculptures en bois originales, reflétant la sensibilité canadienne-française²⁹.

Parmi ses réalisations religieuses les plus notables, on compte des dizaines de statues de saints, de Vierges et de Christs grandeur nature, ainsi qu’un nombre impressionnant de chemins de croix sculptés en bas-relief. On estime qu’il a créé pas moins de 88 chemins de croix destinés à des églises du Québec, du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario et même des États-Unis³⁰ – un record qui témoigne de son expertise. L’un des plus célèbres est celui de l’église de L’Islet-sur-Mer, particulièrement apprécié pour sa finesse³¹. À Saint-Jean-Port-Joli, il a laissé sa marque dans l’église paroissiale avec la chaire, un bas-relief de la Sainte Famille et plusieurs statues³².

La dévotion de Bourgault se reflète aussi dans sa vie personnelle. Il aménage sur son propre terrain un petit sanctuaire extérieur, où il installe une statue de Vierge qu’il appelle Notre-Dame de la Falaise, ainsi que des statues de saints qu’il affectionne³³. Parmi ses créations marquantes, la Notre-Dame des Habitants – une Vierge paysanne québécoise portant un épi de blé et une miche de pain – a même été présentée dans l’ouvrage américain The World’s Great Madonnas³⁴.

Malgré son attachement à la tradition, Bourgault restait un artiste libre. Il déplorait que les églises québécoises se remplissent de copies italiennes ou françaises au détriment de la créativité locale : « Pourquoi pas, nous aussi, notre style canadien ? » écrit-il dans son journal³⁵. Dans les années 1960, alors que la demande d’art religieux décline, il se tourne vers une production plus personnelle : nus, figures mythologiques, sculptures explorant l’imaginaire³⁶. Certains critiques de l’époque, plus conservateurs, accueillent froidement cette évolution³⁷, mais Bourgault poursuit son chemin artistique avec conviction.


Transmission du savoir et école de sculpture

L’une des contributions majeures de Médard Bourgault réside dans la transmission de son savoir. Dès les années 1930, l’atelier des trois frères attire de nombreux apprentis³⁸. En 1940, la fondation officielle de l’École de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli – soutenue par Adélard Godbout – vient consacrer cette mission³⁹. Il s’agit de la première école de sculpture subventionnée par l’État au Québec⁴⁰.

L’enseignement y reste entièrement pratique : aucune méthode écrite, pas de programme formel⁴¹. Pendant des décennies, les frères Bourgault forment plusieurs générations de sculpteurs⁴². Beaucoup ouvrent leur propre atelier, perpétuant l’héritage Bourgault dans tout le Québec⁴³. La relève se trouve aussi dans la famille : les enfants de Médard, d’André et de Jean-Julien deviennent eux aussi sculpteurs⁴⁴.

Après la mort d’André en 1958, Jean-Julien dirige l’école. À la fin des années 1960, un fils de Jean-Julien reprend la structure et élargit l’enseignement à d’autres matériaux⁴⁵. L’impact économique est considérable : la sculpture sur bois fait vivre de nombreuses familles de la région⁴⁶. L’atelier Bourgault contribue à faire de Saint-Jean-Port-Joli un important pôle artisanal⁴⁷.

L’école évolue : en 1992, elle devient le Centre Est-Nord-Est, un centre international de résidences d’artistes⁴⁸. Mais la tradition de formation des sculpteurs sur bois se poursuit dans d’autres ateliers de la région⁴⁹. Depuis 1984, le village accueille aussi des symposiums internationaux de sculpture et, depuis 1994, L’Internationale de la sculpture⁵⁰.


Héritage culturel et reconnaissances

Le rôle des frères Bourgault est reconnu dès les années 1940-1950 : leur travail fait l’objet de nombreux reportages⁵¹. Saint-Jean-Port-Joli reçoit le titre de « Capitale de l’artisanat »⁵², puis, en 2005, celui de Capitale culturelle du Canada⁵³.

Après le décès de Médard en 1967, sa maison familiale devient un musée : le Domaine Médard Bourgault⁵⁴. On y présente ses œuvres et celles de sa descendance. En 2023, la Municipalité de Saint-Jean-Port-Joli désigne Médard comme personnage historique et l’inscrit au Registre du patrimoine culturel du Québec⁵⁵. Son nom apparaît aussi dans la toponymie : une rue à Québec et une autre à Laval⁵⁶.

Son influence artistique dépasse largement sa famille : il inspire des générations d’artistes québécois. En 1989, le Musée Laurier de Victoriaville organise l’exposition Médard Bourgault et ses fils : 60 ans de sculpture sur bois au Québec⁵⁷.


Un pionnier de l’art populaire québécois

Avant Médard Bourgault, la sculpture sur bois était perçue comme un artisanat utilitaire ou comme un art importé par les sculpteurs européens⁵⁸. En lançant, dès les années 1930, un mouvement de sculpture enraciné dans le terroir québécois, il brise ces catégories⁵⁹.

Avec ses frères, il contribue à faire reconnaître Saint-Jean-Port-Joli comme capitale de la sculpture sur bois au pays⁶⁰. En combinant thèmes religieux, maritimes et populaires, il crée un style identitaire qui touchera un large public au Québec et à l’étranger⁶¹.

Considéré comme le père de la sculpture figurative québécoise du XXᵉ siècle⁶², il ouvre la voie aux artistes autodidactes qui raconteront, après lui, l’âme du Québec à travers le bois sculpté⁶³.

Son influence se ressent encore aujourd’hui : festivals, musées, écoles et ateliers perpétuent sa tradition. Son nom demeure associé à l’authenticité et à la passion d’un artisan profondément enraciné dans sa culture.


Sources

(Je recopie ici la liste complète telle qu’elle apparaît dans ton document, sans rien modifier.)

Bourgault, Médard – Répertoire du patrimoine culturel du Québec https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=9563&type=pge

La sculpture à Saint-Jean-Port-Joli en 14 superbes photos | JDQ https://www.journaldequebec.com/2023/05/07/la-sculpture-a-saint-jean-port-joli-en-14-superbes-photos

Médard Bourgault — Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Médard_Bourgault

Les trois Bérets et la sculpture sur bois – Saint-Jean-Port-Joli https://saintjeanportjoli.com/les-trois-berets-et-la-sculpture-sur-bois/

Médard Bourgault | Domaine Médard Bourgault https://medardbourgault.org/medard-bourgault/

BOURGAULT, Médard (1897-1967) | Dictionnaire historique de la sculpture québécoise au XXe siècle https://dictionnaire.espaceartactuel.com/en/artistes/bourgault-medard-1897-1967/

Médard Bourgault, maître d’art, 1930-1967 https://ethnologiequebec.org/2021/04/medard-bourgault-maitre-dart-1930-1967/