Le journal spirituel de Médard Bourgault : la place de la foi dans sa sculpture
Analyse du journal spirituel de Médard Bourgault : promesses, prières, chapelle, crucifix, rôle de la foi, influence directe sur son style et sa vision de la sculpture traditionnelle québécoise.
Introduction : pourquoi cet article
Le Journal de Médard Bourgault révèle un artiste profondément marqué par la foi. On y découvre un sculpteur pour qui prière, création et travail manuel ne font qu’un. Cet article montre comment la spiritualité de Médard, attestée par son propre journal, a façonné son œuvre, son domaine et sa vision de la sculpture.
1. La foi d’un marin : prières, vœux et confiance
Dans les années 1913–1918, alors qu’il navigue en pleine guerre, Médard Bourgault s’en remet continuellement à Dieu.
Dans une prière adressée au Sacré-Cœur, il promet « plusieurs messes » pour être protégé « de tout accident durant ce voyage », et offre ces prières « aux âmes du purgatoire ». Plus tard, à New York, il fait vœu à la Bonne Sainte-Anne pour échapper aux torpilles allemandes.
Cette foi directe, presque instinctive, deviendra plus tard la base de son rapport au travail artistique.
2. Dieu et Saint-Joseph comme maîtres de son apprentissage
Une fois revenu au village, Médard apprend la sculpture seul, sans école ni professeur. Il écrit qu’en l’absence de maître humain, il « s’adressait au grand Maître ». Plus loin, il affirme n’avoir « jamais eu d’autres pour maître que Dieu et Saint-Joseph ».
Il ne voit pas son talent comme quelque chose qu’il possède, mais comme un don reçu : il termine plusieurs pages en bénissant Dieu « pour ses talents » et en déclarant travailler « pour sa plus grande gloire ».
La sculpture n’est pas un métier uniquement technique : c’est une mission.
3. Le domaine comme lieu spirituel : chapelle, statues, crucifix
Au bord du fleuve, Médard Bourgault transforme progressivement son terrain en un espace sacré. Il y construit :
- une petite chapelle dédiée à Notre-Dame de la Protection des enfants ;
- une statue de la Vierge (1937) ;
- un crucifix sculpté par son fils Claude ;
- une statue de Saint-Joseph (1933) ;
- une grande Vierge au-dessus de la porte nord (1925) ;
- un crucifix d’hiver réalisé en 1947–1948.
Le domaine devient un chemin spirituel sculpté, où chaque élément est porteur de sens. Pour Médard, la terre, l’atelier et la prière ne sont jamais séparés.
4. Le crucifix : sommet de sa réflexion spirituelle et artistique
Le journal offre un passage central : sa méditation sur le crucifix.
Médard refuse toute représentation « difforme » du Christ. Il écrit que le sculpteur doit représenter Jésus « avec la beauté du corps humain », puisque le Christ, venu comme homme, a pris une forme parfaite.
Il compare : si un artiste caricaturait le buste d’un roi, celui-ci s’indignerait ; à plus forte raison faut-il honorer « le Roi des rois » dans l’art.
Devant un crucifix qu’il a sculpté dans le noyer, il médite :
- l’inclinaison de la tête,
- la tension des bras,
- l’expression des lèvres,
- les « sept paroles » du Christ,
- le regard tourné vers ceux qui le frappent.
Même l’anatomie devient une forme de théologie : ses premières études du corps ont été faites « sur [son] propre corps » lorsqu’il sculptait un crucifix grandeur nature pour le cimetière.
Pour lui, la beauté est un acte de foi.
5. La création comme contemplation
Dans les pages finales, Médard exprime une gratitude simple mais immense : il dit être heureux parce qu’il voit chaque jour « les beautés que Dieu a créées ». Il bénit « celui qui [lui] a donné de voir ces beautés » et affirme que, si tout ce que Dieu met dans son esprit pouvait être sculpté, une vie entière ne suffirait pas.
La création artistique devient prolongement de la Création divine : l’artiste répond à un appel intérieur, pas à une mode ou à une demande marchande.
Conclusion : sculpter comme acte spirituel
Le Journal de Médard Bourgault révèle une dimension essentielle de son œuvre : sa sculpture est une prière continue, un dialogue avec Dieu, une manière de remercier, d’espérer, de contempler.
Sa foi :
- nourrit son travail,
- lui donne son exigence,
- guide ses choix esthétiques,
- habite son domaine,
- et accompagne chaque geste de couteau.
Comprendre cette dimension, c’est comprendre pourquoi son œuvre possède une force unique dans la sculpture québécoise.